Michel Ducasse

Michel Ducasse, photo © Thomas C. Spear Tamarin (Maurice), 2009

photo © Thomas C. Spear
Tamarin (Maurice), 2009

Michel Ducasse est né le 13 février 1962 à Beau-Bassin (Île Maurice). Trois ans plus tard, sa famille déménage et s’installe à Goodlands, au nord de l’île, où son père ouvre une pharmacie. Le jeune Michel y passe toute son enfance, non loin de la propriété sucrière pour laquelle travaillent bon nombre des habitants du village. C’est dans ce décor-là que se construisent ses premiers souvenirs d’une enfance bercée par l’amour des mots que lui transmet sa mère.

À l’adolescence, il poursuit sa scolarité à Port-Louis. La poésie, comme une urgence, s’impose alors partout à lui, dans l’autobus le conduisant à l’école, comme en classe de mathématiques. Il rédige, à cette époque, ses premiers textes en français, à l’âge de 15 ans, influencé par le rythme singulier des chansons à textes de Brassens, Brel et Ferré. Les poètes qu’il étudie au collège (Shelley, Keats, Wordsworth, Milton) s’expriment pour leur part en anglais. À l’âge de 18 ans, Ducasse quitte l’Île Maurice pour des études de lettres et de linguistique à Nancy. Il y reste sept années et, dans cette ville où il dit être né intellectuellement, sa découverte véritable de la poésie française, notamment à travers Baudelaire et Verlaine, confirme sa passion des mots. Durant cette période, Ducasse lit également Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, une nouvelle rencontre littéraire qui façonne sa vision du monde et de l’écriture. L’étape déterminante du passage à Nancy participe de manière évidente à la formation identitaire du poète : il écrit dès lors, aussi bien en français qu’en créole, des textes qui seront plus tard publiés dans son premier recueil, Alphabet.

De retour à Maurice, Michel Ducasse démarre sa carrière de journaliste en 1988 au sein du groupe Le Mauricien Ltd. Il travaille à l’hebdomadaire Week-End Scope et y fait principalement du journalisme culturel pendant environ deux ans. Par la suite, il travaille durant seize ans comme secrétaire de rédaction au Weekend avant de revenir au Week-End Scope en 2010. Parallèlement, et au moment même de la publication d’Alphabet à compte d’auteur, sa rencontre avec Patrice Offman en 2001 l’amène à fonder la maison d’édition Vilaz Métis. Le recueil, conçu par un poète qui s’interroge sur la manière dont sa fille apprendra à lire, est lancé à l’école primaire de Goodlands, qu’il a lui-même fréquentée étant enfant. Vilaz Métis publiera par la suite un auteur réunionnais ainsi que Point Barre, une revue de poésie fondée par d’autres poètes mauriciens (Yusuf Kadel, Umar Timol, Gillian Geneviève, Alex Ng). Si Ducasse y collabore régulièrement, il intègre également le comité de lecture de la revue en 2007.

Après Alphabet, le poète publie quatre autres recueils : Mélangés (2002), Soirs d’enfance (2004), Calindromes (2008) et Souf tapaz lavi (2014). Ce qu’il offre à travers sa poésie, c’est un imaginaire de tendresse et de révolte qu’il articule par le tressage de ses deux langues, le français et le créole. À l’image de cette rencontre linguistique, mais également identitaire, la poésie de Ducasse exprime une pensée du métissage, de l’entre-deux, qui fait se croiser le passé et le présent. L’écriture de l’enfance, du souvenir, de la nostalgie amène ainsi le poète à s’interroger sur le passage du temps, le devenir de l’île, les changements qui l’affectent, les effets néfastes de la modernité et du développement. Si l’île natale reste au centre de sa poésie, elle est tantôt fantasmée et recréée, mais souvent aussi regrettée, décriée, pointée du doigt. Le dernier recueil de poésie de Ducasse se décline ainsi en trois parties qui correspondent aux trois mots créoles du titre : souf (souffle), pour les poèmes consacrés au rythme de l’amour ; tapaz (bruit) pour ceux résonnant des fléaux intérieurs de l’île ; et enfin lavi (vie) pour ceux exprimant l’existence, le passage du temps et le goût du regret.

La sensibilité manifeste dans l’œuvre de Ducasse part ainsi de l’expérience personnelle et de la quête de soi vers une expression et un engagement profondément créoles à mettre en relation avec l’histoire des îles de l’océan Indien. Sa poésie ne se limite pas ainsi à l’espace mauricien, mais cherche son inspiration dans l’expérience d’un ailleurs proche, notamment des îles sœurs : les Chagos et La Réunion. Si cette sensibilité nous rappelle d’une certaine manière la poésie d’Édouard Maunick, l’auteur de Mélangés met certes en rythme l’imaginaire éternellement renouvelé de l’espace créole, la rencontre qu’il permet, le métissage qui le caractérise ; mais sa voix, comme la houle, s’élève également, révoltée, contre les injustices de l’histoire, les abus du pouvoir, les violences diverses. Les vers engagés du poète – exprimant les malaises de la société, l’expérience de la vie, et le désir d’un monde meilleur – s’impriment d’ailleurs régulièrement dans des rubriques de journaux initiées à cet effet : « Égratignures » et « Catastrophes ». Cette poésie engagée, Ducasse la veut également accessible aux jeunes : s’il y initie certains d’entre eux, c’est une fois encore pour les amener à une expérience concrète de la poésie, comme expression d’une réalité et d’un contemporain reconstruits à travers les mots, d’un monde se trouvant aussi bien en nous qu’autour de nous.

Enfin, avec la complicité de Patrice Offman, chacun des recueils de poèmes de Michel Ducasse exprime une conception graphique singulière. La poésie chez lui n’est pas simplement sonore mais elle est visuelle ; le sens du poème ne passe pas seulement par le son mais également par le toucher et par la trace. Ainsi, associée à ses publications diverses, est une réflexion sur le recueil comme objet, comme concept graphique, espace de mots sinueux qui tantôt dansent, tantôt glissent sur la page, ou s’en échappent. Est ainsi exploitée la forme littérale du mot, qui participe du plaisir et de l’expérience à la fois poétiques et esthétiques offerts au lecteur. Comme exprimée par le titre du recueil Calindromes, la démarche consiste ici en effet à repenser la forme du vers, dans tous les sens du terme, pour laisser la place à une expression poétique de la créolisation.

– Emmanuel Bruno Jean-François


Oeuvres principales:

Poésie:

  • Alphabet, recueil de poèmes en français et en créole. Beau-Bassin: Vilaz Métis, 2001.
  • Mélangés. Beau-Bassin: Vilaz Métis, 2002.
  • Soirs d’enfance. Beau-Bassin: Vilaz Métis, 2004.
  • Calindromes. Beau-Bassin: Vilaz Métis, 2008.
  • Souf tapaz lavi. Beau-Bassin: Vilaz Métis, 2013.

Prix et distinctions littéraires:

  • 2001     Sélection pour le Prix Radio France du Livre de l’Océan Indien, pour Alphabet.
  • 2003     Prix de Poésie de l’Alliance française de Lyon, pour « Ainsi va lavis ».

Liens:

sur Île en île:

ailleurs sur le web:

  • Africultures, présentation de Michel Ducasse, avec des textes critiques.
  • icon_video Café des lecteurs, spécial poésie avec Jason Lily et Michel Ducasse; modérateur: Reza Dulymamode (Institut français de Maurice, vidéo, septembre 2020, 1h33).
  • icon_video « Écris-moi ». Texte de Michel Ducasse, interprété par Maya Kanaty (2005, vidéo, 4:15 minutes).
  • « Isle Say Blood », by Michel Ducasse, translated (into English) by Alexis Pernsteiner and Antoine Bargel. Words Without Borders (May 2012).
  • Le Mauricien. Articles par Michel Ducasse et sur son oeuvre dans les archives du quotidien.
  • icon_video Michel Ducasse, la poésie tout entière Beachcomber Magazine (2018, vidéo, 1:52 minutes).
  • Soirs d’enfance, par Michel Ducasse. Poèmes extraits du recueil avec des lectures sonores (Kiltir.com).
  • Vilaz Métis, site de la maison d’édition mauricienne, avec des extraits de poèmes de Michel Ducasse (via archive.org).

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mis en ligne : 20 janvier 2014 ; mis à jour : 27 septembre 2021