Suzanne Dracius, 5 Questions pour Île en île


Romancière, nouvelliste et poète martiniquaise, Suzanne Dracius répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 52 minutes réalisé le 19 mars 2019 dans le restaurant Le Val Royal sur le boulevard Port-Royal à Paris (13e) par Sur la Route de la Vidéo.
Notes de transcription (ci-dessous) : Carole Ricco.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Suzanne Dracius.

début – Mes influences
13:50 – Mon quartier
20:53 – Mon enfance
29:17 – Mon oeuvre
48:17 – L’insularité

Note technique : filmé dans un restaurant, vous entendrez parfois des bruits ambiants du lieu.


Mes influences

Chez mes parents, il y avait les livres des grands auteurs martiniquais. Il y avait aussi Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, qui était pour moi un élément fondateur. C’est à la fois le poétique qui rejoint le politique, c’est tout un programme pour améliorer la ville de Fort-de-France en montrant ses plaies. Il y avait aussi Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon, qui a été initiatique dans la mesure où nous subissons, encore aujourd’hui, les préjugés de race et de couleur.

Et même à l’intérieur de certaines familles, on dit d’un enfant qu’il est « mal sorti » ; ça veut dire foncé. Il perdure cette notion d’une sorte de malédiction liée à la couleur foncée. Quand quelqu’un est de teint clair, on dit qu’il a « la peau sauvée », c’est-à-dire sauvée de la malédiction de la noirceur inculquée aux esclaves, baptisés d’autorité, – la fameuse malédiction de Canaan, fils de Cham, en référence à l’épisode biblique de Noé s’étant enivré après le Déluge…

Fanon a écrit qu’il ne voulait pas être esclave de l’esclavage qui déshumanisa ses pairs, et moi, je vais au delà. Je me veux marronne. Le métissage et le marronnage sont mes deux thématiques majeures, que je vis tout le temps et que je pratique dans tous mes textes. Il y a encore beaucoup de souffrance, même chez nos contemporains.

J’avais déjà été initiée à cette réflexion par la lecture de Fanon, Césaire et Glissant, mais, en tant que professeure de Lettres classiques, j’ai aussi beaucoup de tendresse pour les grands écrivains français du passé et ceux de l’Antiquité, notamment Sénèque, qui, dans une Lettre à Lucilius, s’insurge contre l’esclavage, au Ier siècle. Important pour débarrasser les gens des complexes, puisque l’esclavage antique n’était absolument pas basé sur la couleur noire. D’ailleurs le mot « esclave » vient de « slave ». En latin, « esclave » se dit « servus », signifiant « préservé, sain et sauf », s’agissant à l’origine de prisonniers de guerre ayant eu la vie sauve, d’où la relation perverse maître/esclave…

On a inventé des lois – par exemple le Code noir qui légifère sur le traitement des esclaves. Aux États-Unis, il y avait cette notion d’« une goutte de sang noir » qui faisait de vous un Noir et donc potentiellement un esclave. C’est une invention, une aberration.

J’ai de l’Afrique en moi jusqu’au tréfonds de mes os, – pas simplement de manière métaphorique –, ma densité osseuse d’Africaine en atteste. J’ai fait faire ces examens-là à Paris, dans un quartier où la majorité des femmes sont blanches. Je passe d’abord sans problème à la mammographie avec une juive tunisienne encore plus bavarde que moi et curieuse comme une pie qui me raconte sa vie et veut tout savoir de la mienne. Puis je vais dans une autre salle pour l’ostéodensitométrie, avec une autre dame, beaucoup plus réservée. À la fin de l’examen, la dame numéro deux fait une mine d’enterrement en scrutant l’écran de l’ordinateur, et me fait asseoir délicatement, comme si elle avait peur de me casser : « Ne vous inquiétez pas, mon petit, on va vous soigner. » La porte s’ouvre à toute volée sur la bourrasque bavarde qui s’écrie : « Mais qu’est-ce que tu as fait à ma petite Martiniquaise ? » en me voyant prostrée. Compte tenu de mon métissage, de mon « afroascendance », on refait l’examen, mais en mettant « africaine » au lieu de « caucasienne ». Et là, ô miracle ! La « négresse rouge » n’est plus dans le rouge, ma courbe est normale, en tant qu’africaine : je suis le contraire d’un Bounty, cette confiserie chocolatée blanche à l’intérieur et marron à l’extérieur, pas marron de peau mais marronne de cœur et d’âme, forte d’âme, fière de mes ancêtres esclaves. Les personnes comme moi sont la preuve vivante qu’« au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité », dixit Jaurès. Mon regret, Césaire était déjà mort, lui qui m’avait dit : « L’Afrique, elle ne se voit pas tellement sur vous, mais elle est bel et bien en vous et dans vos écrits. »

Je suis une vivante allégorie du métissage, aux ascendances multiples, avec des ancêtres indiens à plumes et sans plumes, Amérindiens (Caraïbes mêlés aux Arawaks) et « kouli » (Indiens de la vraie Inde, pas des West Indies, des basses castes, arrivés après l’Abolition de l’esclavage), sang mêlé aux marrons, les esclaves africains ayant fui le joug de l’esclavage, en Dominique et au Nord de la Martinique (mon père est du Marigot), et des ancêtres békés (colons français blancs arrivés en Martinique après 1635 qui ont fait des enfants mulâtres avec l’esclave africaine), tous des déshérités, puisque même mon ancêtre blanc n’était qu’un pauvre cadet de famille désargenté, à une époque où seul l’aîné héritait, – et l’aîné garçon, pas fille –, envoyé chercher fortune aux colonies, bâton levé, mèche allumée mais bourse plate, et j’ai, pour pimenter le tout, une arrière-grand-mère chinoise : je suis issue des Damnés de la Terre, mais j’en n’en ai pas honte, au contraire, j’en suis fière. J’ai en moi quatre continents et demi, avec l’Asie en double, avec l’Inde et la Chine… Au fond, je suis une humaine, avant tout, à l’instar de Térence qui a écrit « Homo sum, a me nihil humanum alienum puto » (« Je suis un être humain, rien d’humain ne m’est étranger »). Je suis en parfait accord avec cette superbe formule de Térence, l’un des premiers auteurs africains, originaire de Carthage.

Mon quartier

La maison où j’habite est à Fort-de-France, dans le quartier de la Pointe-des-Nègres, le nom gardé de l’époque où il y avait l’arrivée (dans ce lieu) des bateaux négriers et la vente des marchandises humaines, les Africains qui étaient déportés et vendus comme esclaves. C’est très symbolique pour moi, car c’est une mémoire vivante, et je suis d’accord pour que l’on garde ce nom. Se débarrasser des noms, ce serait aussi se débarrasser du souvenir. Or je suis pour l’anamnésie propitiatoire. L’esclavage ne doit pas être un tabou, la honte est sur l’esclavagiste, pas sur l’esclave.

J’aime le fait d’être à Fort-de-France, dans une maison avec jardin. Le jardin n’est pas immense, mais il est important pour moi. J’ai écrit, dans Rue Monte au Ciel, ce que j’appelle la « chlorophyllienne création » ; c’est-à-dire que j’ai vraiment besoin d’avoir ce contact avec la nature et les plantes. Quand je suis en Martinique, j’écris sur la terrasse, quasiment dans le jardin car cela me pénètre et me nourrit. Je vais aussi me baigner tous les jours, car c’est important pour moi de me baigner dans la mer Caraïbe, y prendre des bains « démarrés » comme dans le quimbois, me dégager des contingences. Mes éléments constitutifs sont aussi la danse, le Carnaval, où j’apprécie particulièrement qu’il y ait, en plus des traditionnels « nègres gwo siwo », des « négresses gwo siwo », le corps quasiment nu, enduit de « gros sirop », symboles à la fois de liberté et de force du nègre marron autrefois diabolisé, aujourd’hui réhabilité.

Mon enfance

Je suis née à la Martinique à Fort-de-France, née à la maison, car c’était en pleine saison cyclonique. Il y avait une alerte cyclonique, et ma mère – qui avait déjà eu d’autres enfants – a dit qu’elle savait faire et qu’elle ne voulait pas quitter la maison pour accoucher. Je suis née un 21 août à midi, c’est dire si j’aime le soleil ! J’y suis restée jusqu’à l’âge de quatre ans, avant d’aller vivre dans l’Hexagone.

Je préfère dire « Hexagone » plutôt que « Métropole ». Le mot « métropole » est très condescendant : il y a cette notion de référence, de cité modèle comme si tous les autres devaient s’y plier. C’est très arrogant et très méprisant. Je préfère le terme « Hexagone » qui est un peu plus poétique, d’ailleurs. Mes souvenirs d’enfance sont vite devenus des souvenirs d’en France où j’ai fait mes études. Le lieu ou j’habite maintenant en Martinique, la Pointe-des-Nègres a gardé ce nom-là… Heureusement que Césaire est passé par là, avec le concept de « négritude », car il y a encore des gens que le mot « nègre » choque, mais c’est parce qu’ils n’ont rien compris à la négritude, qui permet justement de se sentir bien dans sa peau de nègre, d’assumer le passé, parce que, si l’on occulte le passé, par exemple, si l’on débaptise la quartier Pointe des Nègres en supprimant le mot « nègre », on va oublier que c’était le lieu de débarquement des esclaves, le crime qu’étaient la traite négrière, l’esclavage… Alors que, si l’on dit les choses, quand on les exprime, on peut se permettre une espèce de résilience, éduquer, expliquer, penser, tenter de panser les traumatismes du passé esclavagiste et d’en sortir plus fort.

J’ai donc une vraie maison natale, qui avait aussi un jardinet, dans le quartier des Terres-Sainville (nom où il y a le mot « terre ») ; très important pour moi, ce contact avec la terre, dès ma plus tendre enfance, au 3, rue Amédée Knight – le premier sénateur «  de couleur » de Martinique, nom symbolique !

J’adorais aller chez ma grand-mère, qui a été ma première lectrice. Elle avait été institutrice et elle donnait des cours pour aider mes cousins qui avaient du mal à étudier. Comme j’étais la petite dernière, je voyais mes frères et sœurs qui se livraient à une activité magique : tantôt ils riaient, tantôt ils étaient tristes. Je leur demandais, « Qu’est-ce que tu fais ? ». Ils me répondaient « Je lis ! ». Alors, j’ai dit « Je veux apprendre à lire ! ». D’après la légende familiale, j’aurais demandé à lire avant l’âge de quatre ans. On m’a mise à l’école, et il n’y en avait qu’une qui prenait les enfants si petits et j’ai appris à lire.

Première en français, latin, grec, etc., à Sceaux, au lycée Marie-Curie, j’ai été très bien intégrée, ce qui m’a permis une implantation, pas une assimilation, dans cette mixité, ce mélange, ce métissage culturel qui m’a permis de ne pas me sentir rejetée.

J’ai toujours gardé mes racines créoles. Même en France, mon père contait, racontait. Il commençait en français et ça finissait en créole, donc je n’ai jamais quitté ce bain de langue créole. J’avais cette mixité, ce mélange culturel, ce métissage qui me permettait de ne pas me sentir rejetée. Mais j’ai tout de même subi le racisme, pas dans ma personne, mais dans celle de mon frère.

Dans ma fratrie, avec ce métissage, nous sommes issus du même papa et de la même maman, mais aucun enfant ne se ressemble. Mon frère ressemble à un Arabe, et quand nous étions enfants, c’était la guerre d’Algérie. Il y avait chez certaines personnes, chez certains Français, une espèce de haine des Arabes. Et comme les enfants reproduisent ce que font les parents, mon frère subissait des insultes racistes.

Mon œuvre

Les thèmes du métissage et du marronnage sont majeurs, mais il y a aussi celui de la féminitude. C’est un mot que j’ai trouvé chez Simone de Beauvoir, pas dans des livres qu’elle a signés, elle, mais dans un entretien avec Sartre. Elle y définit la féminitude comme étant non plus simplement la revendication des droits des femmes, à travers le féminisme, mais qui va au-delà, en étant une posture. Moi, je vais au-delà, je voudrais qu’on ne nous enlève pas notre plaisir d’être femme, qu’on ne nous le gâche pas. J’aime ce mot « féminitude », qui d’ailleurs ressemble au mot « négritude », permettant de se sentir bien dans sa peau de nègre, et la féminitude, c’est se sentir bien dans sa peau de femme. Ne pas avoir honte d’être une femme.

Il y a des situations, des civilisations où on a, par exemple, sali les règles des femmes, les menstrues. Et même dans le vocabulaire, c’est choquant : serviettes hygiéniques. Les règles des femmes ne sont pas impures, ce n’est pas une question d’hygiène. En plus, il y a des sociétés dans lesquelles on va mettre les femmes à l’écart, sous prétexte qu’elles sont impures. De nos jours encore, il y a l’excision qui est pratiquée pour couper le plaisir de la femme ; c’est quelque chose que je trouve absolument scandaleux et scélérat. Il y a aussi la privation d’éducation des filles. J’ai écrit un long poème qui s’intitule « Elle a le droit d’aller à l’école » où j’énumère toutes ces violences faites aux femmes. Il y en a beaucoup, malheureusement.

À ce propos, il y a eu un premier Parlement des écrivaines francophones en septembre dernier [2019] à Orléans. Le symbole est intéressant, car c’est la ville de la Pucelle d’Orléans. C’est une femme qui a été condamnée pour avoir été relapse, avoir porté et reporté, malgré l’interdiction, l’habit d’homme. Ce Parlement a créé un badge où est écrite la phrase « Je suis une fille et j’écris », à laquelle je voudrais ajouter « je suis une fille et j’étudie et j’ai le droit d’étudier », car malheureusement, dans bien des endroits, les filles sont privées de l’éducation et je combats contre cela. Ce n’est pas parce que je n’ai pas moi-même souffert de cela, – par exemple en étant professeure, métier où il y a une égalité de salaires hommes/femmes –, que je vais me désintéresser du sort des autres femmes, et ne pas me battre pour les autres, au contraire ! Justement, c’est peut-être dans le sang de mulâtre, puisqu’il y a, par exemple, le cas de Louis Delgrès, devenu un héros de la Guadeloupe, alors que c’est un Martiniquais, et qui s’est donné la mort en criant « Vivre libre ou mourir », combattant le rétablissement de l’esclavage, alors qu’il était libre, mulâtre, fils d’un béké (blanc créole) de Saint-Pierre de Martinique… Ce n’est pas parce que l’on ne souffre pas soi-même dans son corps que l’on ne doit pas se battre pour les autres…

Les armes que je prends, ce sont ma plume et mon clavier d’ordinateur. D’ailleurs j’ai écrit Lumina Sophie dite Surprise, personnage historique qui n’était pas travailleuse dans la canne mais s’est battue, lors de l’Insurrection du Sud de 1870, à la tête des insurgés, à la suite d’un terrible incident raciste qui avait mis le feu aux cannes, qui s’est généreusement battue, mais, du fait de la misogynie, était occultée. Depuis, Lumina est désormais devenue une héroïne martiniquaise, icône de la lutte des femmes, combattant le machisme ambiant et la phallocratie résumés dans le mythe du « potomitan », le poteau mitan, le pilier central, la femme, sans qui le foyer s’écroulerait, mais sur lequel s’appuie l’absentéisme du père démissionnaire, laissant tout à la charge de la mère, y compris les châtiments corporels, horribles séquelles de l’esclavage où le maître maniait le fouet – ou faisait fouetter les esclaves par d’autres esclaves. Je me bats aussi contre les châtiments corporels, affirmant que les coups ne constituent pas un mode d’éducation, au contraire ; j’écris pour en dénoncer les dangers. Par exemple, j’ai cessé de mettre des « vieilles notes », c’est-à-dire des mauvaises notes aux élèves pour éviter que leurs parents ne les frappent, ce qui n’avait pour effet que de les abrutir encore davantage…

Pour les droits de la femme, les droits de l’enfant, j’écris pour tout cela, et bien d’autres choses encore.

Je me suis adonnée aux divers genres littéraires. J’ai commencé par le roman, avec L’Autre qui danse [1989], qui sur le thème de l’identité, l’histoire de deux sœurs antillaises, métisses, l’une qui se prend les pieds dans ses racines, y compris dans la relation avec l’homme, dans la relation entre tradition et modernité, etc., l’autre qui danse, qui s’en sort.

Je suis passée ensuite par un roman fragmenté en neuf nouvelles, Rue Monte au ciel, symbole de l’élévation, où je donne comme des remèdes, des moyens d’échapper par le haut, de marronner, où chaque personnage principal se sort d’une catastrophe, la première étant l’éruption de la Montagne Pelée en 1902, dans une pluie de cendres mortifères, et la dernière, l’occultation du fait qu’Alexandre Dumas, dont on a transporté les cendres au Panthéon en 2002, soit un mulâtre originaire de Saint-Domingue, l’actuelle Haïti. Rue Monte au ciel est une traversée du XXe siècle, de cendres en cendres, de manière ascensionnelle.

Ensuite j’ai publié de la poésie, avec Exquise déréliction métisse, dont le titre est un oxymore reflétant le métissage, à la fois délicieux et dur, à cheval, subissant les diverses formes de racisme, puis Déictique féminitude insulaire, exaltant ma féminitude.

Mon dernier livre est un recueil de poèmes, Scripta Manent, selon le proverbe qui dit que les paroles s’envolent, les écrits restent. Ce titre est issu d’un entretien que j’ai eu avec Césaire, qui a été publié il y a quelques années dans Prosopopées urbaines [et republié aux éditions Jean-Michel Place dans le 5e tome des Écrits politiques de Césaire (2018)]. J’avais obtenu de Césaire un poème inédit au préalable, mais il m’avait dit « Je n’ai plus de poèmes, mais on va faire un entretien ».

À la fin, Césaire a écrit cette dédicace à ma mère : « À Elmire Dracius que la Martinique remercie entre autres choses d’avoir mis au jour la poésie, la vraie : Suzanne ! Merci ! »

L’insularité

J’avais coordonné, il y a quelques années [2005], une anthologie – Hurricane : cris d’insulaires – dont le thème était d’exprimer l’insularité, avec beaucoup de grands noms, dont Césaire, et Derek Walcott, notre prix Nobel de littérature caribéenne, qui est saint-lucien, et m’avait donné l’autorisation de publier une traduction inédite.

Pour ma part, je ne me sens pas du tout enfermée. Parfois les gens vous disent « Comment peux-tu vivre dans une île ? ». La Martinique est un petit monde en réduction : d’une part, c’est un lieu à l’échelle humaine ; d’autre part, c’est un lieu où toutes les populations qui s’y sont mélangées arrivent à vivre aujourd’hui en à peu près bonne intelligence dans toute cette mosaïque de couleurs, même s’il subsiste beaucoup les préjugés de couleur.

Finalement, l’île nous permet d’être dans une ouverture au monde et peut générer à la fois une humilité et une fierté. Fierté de cette résistance, car cela n’a pas été facile. Cela était lié au fait d’être une colonie, donc dépendante sur le plan économique et sur le plan de notre production des produits de première nécessité. Parfois, on nous a même interdit de fabriquer certaines choses parce qu’il fallait les exporter. Cela faisait partie du flux économique à partir duquel la « Métropole » fondait sa richesse et sa prospérité. Aujourd’hui encore, si la France est toujours un grand pays, une des plus grandes puissances maritimes du monde, c’est grâce à toutes ses îles, ses Outre-mer.

Notre insularité est une donnée dont on doit améliorer les contours. On ne peut pas agrandir nos îles, mais nous pouvons acquérir plus de possibilités de communiquer avec le reste de la Caraïbe et du monde, et pas uniquement, comme dans le système colonial, avec la « grande » France. Ça permettrait aux gens de vivre mieux. Il y a eu une grande grève générale en 2009 à cause de la vie chère, « la profitation ». Dix ans après, le problème n’est pas résolu…


Suzanne DraciusSuzanne Dracius. 5 Questions pour Île en île.
Entretien, Paris (2019). 52 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 27 juin 2019.
Entretien réalisé par Sur la Route de la Vidéo.
Équipe technique : Édouard Lemiale, Marie Guimond-Simard, Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Carole Ricco.

© 2019 Île en île


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mis en ligne : 27 juin 2019 ; mis à jour : 26 octobre 2020