Dev Virahsawmy, 5 Questions pour Île en île


Linguiste, éducateur, politicien, traducteur, poète et dramaturge, Dev Virahsawmy répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 46 minutes réalisé à Rose Hill le 19 juin 2009 par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.

Notes de transcription (ci-dessous) : Bruno Fouillet.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Dev Virahsawmy.

début – Mes influences
03:03 – Mon quartier
09:30 – Mon enfance
16:49 – La pédagogie linguistique
34:07 – Mon oeuvre
40:53 – L’insularité

Note technique : il y a des moments avec le bruit d’une tronçonneuse chez les voisins, surtout pendant les trois premières questions (par exemple, de 10:25 à 11:15) et pendant une partie de la question « Mon oeuvre ». Vous verrez ci-dessous du texte entre crochets, signalant trois autres passages, trop bruyants, qui ont été supprimés du film.


Mes influences

Ma première série d’inspiration s’est constituée à partir de chansons, du folklore, des sirandanes créoles qui m’ont bercé dès mon enfance, parce que ma mère est issue de Quartier militaire, l’endroit où habitait Ti frer, le chanteur de séga. Ti frer a connu ma mère enfant. Il a même chanté à son mariage. Ma mère me chantait toujours ses chansons et me racontait ses histoires. Elle avait un vocabulaire et des expressions créoles qui m’impressionnaient.

Sur un autre plan, cela a été l’influence de l’école, avec la connaissance des grands classiques, c’est-à-dire Molière, Shakespeare… Puis j’ai eu la chance en 1963 à Édimbourg de tomber en pleine révolution de la linguistique. Chomsky, John Lyons, toute une bande d’intellectuels a donné à l’étude de la langue une nouvelle orientation. Ces trois influences ont fait de moi ce que je suis. Dans mon écriture, on peut voir toutes ces différentes tendances, qu’elles soient folkloriques, littéraires ou linguistiques.

Mon quartier

Des endroits qui m’ont beaucoup inspiré et influencé, je parlerai surtout du village de Goodlands où j’ai grandi. Je me rappelle surtout de certains arbres qui à chaque croisée de chemins donnaient un nom à ces lieux : La croisée pie [NDLR: « pie » : arbre] : La croisée pie lila, pie badamie. Ce sont comme des métaphores de la vie où à chaque croisée des chemins, il y a un choix à faire. Certains de ces arbres sont restés dans mes œuvres et leur ont donné une certaine orientation. Ainsi la maison d’édition que j’ai créée s’appelle Boukie Banane, ces termes sont le nom rural du flamboyant.

[Ceux qui sont aussi restés dans ma mémoire sont des noms de gens côtoyés quand j’étais gosse, et pas spécialement des jeunes comme moi, mais des vieux.] Il y avait un grand partage, une très grande solidarité. Un jour mon père me voit, j’étais triste et je pleurais et il m’a demandé ce que j’avais. J’étais dans la rue et tonton untel – tonton était le nom utilisé pour n’importe qui était notre aîné – tonton untel m’a foutu une baffe. Alors mon père m’a demandé pourquoi. Je lui ai raconté que j’étais assis sur un mur qui n’était pas très solide, il m’a sorti du mur en me donnant en même temps une claque et me disant « fais attention, couillon ! ». J’étais furieux que ce monsieur me frappe. La réaction de mon père a été de me dire que c’était bien fait et il a ajouté « ne reproche jamais à ton tonton de te corriger quand tu fais des bêtises ». C’était notre façon de vivre. [Pendant les vacances, on jouait dans la rue, et si c’était l’heure de manger, la maman d’un des copains me donnait un peu de riz, de cari. C’était un genre de communautarisme, de vie un peu collective. Ça m’est resté comme un modèle de vie et plus tard dans mes études cela a pris une dimension socialiste, politiquement je veux dire. C’est donc ce village qui m’apporte beaucoup avec ces arbres, ces croisées et ces gens que j’ai connus.

Mais je dois dire aussi que je suis très attaché à mon île.] Beaucoup de mes œuvres ont comme toile de fond le devenir de Maurice. Surtout dans les nouvelles et mon roman unique. Ce qui me pousse comme dans la pièce Toufann à penser à la possibilité que, malgré le fait qu’on soit une société plurielle, il y a certainement beaucoup de possibilités de facteurs culturels identitaires qui pourraient nous aider à devenir vraiment une nation harmonieuse et ceci je l’explique à travers quelques concepts. Par exemple nous sommes tous des immigrants et techniquement l’Île Maurice est une île créole parce qu’il n’y avait pas de population autochtone et les gens sont venus d’un peu partout. Et chaque groupe a apporté sa contribution. Je suis persuadé que la vraie définition de l’Île Maurice est celle d’une île créole. Et dans cette île créole, les gens venus d’un peu partout ont façonné l’île à leur façon et ont donné cette identité. Parallèlement s’est développée une langue, la langue créole que je préfère appeler moricien, car c’est une langue qui s’est tellement développée qu’elle a dépassé la phase de créolisation. Elle est devenue langue nationale et elle devrait prendre le nom du pays. Il ne faut pas aussi confondre la langue créole d’un point de vue linguistique et une ethnie à Maurice que l’on appelle créole, il faut éviter cela, car la langue créole est la langue de tout le monde. Mais je reconnais aussi qu’elle est la langue des descendants d’esclaves. Elle a ainsi plusieurs fonctions : c’est une langue ancestrale, elle est parlée par plus de 80 % de la population, et en même temps c’est la langue nationale de l’Île Maurice. Mon œuvre, c’est cette revendication de la langue. C’est à travers ce médium que j’exprime mon imaginaire, mon inspiration, mon espoir. Je dirai ceci : mon village, c’est mon île.

Mon enfance

Quand je pense à mon enfance, un événement est tout le temps présent. Très jeune j’ai perdu ma mère. Cela a complètement bouleversé ma vie, mais cela m’adonné d’autre part de grandes ouvertures. C’est la contradiction de la vie. Quand j’ai perdu ma mère, j’habitais Goodlands, j’avais sept sœurs et frères. Les parents se sont partagé les enfants, une tante a pris un enfant, un oncle en a pris un autre. Moi, j’étais pris en charge par un oncle du côté de ma mère. Cela a nécessité que je quitte Goodlands pour Quartier militaire et c’est là que j’ai connu une autre réalité culturelle, une autre faune et une autre flore et le plaisir de vivre à côté d’une rivière. Avoir ce contact avec l’eau est un symbole récurrent dans mes œuvres. J’y ai connu deux personnes qui reviennent dans mes œuvres et qui habitent aujourd’hui mon imaginaire : un ami qui s’appelle Farouk et une fille qui s’appelait Saro. Et de temps à autre, ils reviennent avec d’autres noms et d’autres réalités, c’est une autre façon de faire revivre mes copains d’enfance. C’est là où je dis que la mort d’une mère qui est un événement traumatisant peut devenir une ouverture.

Après mon passage à Quartier militaire où je termine mes études primaires, pour les besoins d’aller au collège je pars vivre chez mes grands-parents paternels à Beau-Bassin. Je commence à vivre dans un milieu urbain, à connaître la ville, l’électricité, le téléphone. C’est là où j’entre en contact avec la langue française. Je vais au collège Saint-Joseph à Curepipe où la majorité des élèves étaient d’origine euro-créole et parlaient français chez eux. Et moi venant de Goodlands et de Quartier militaire, je zézayais comme une bourrique, un bourricot. J’écrivais bien sans faute, mais je ne pouvais pas parler. Un jour, un enfant de ma classe m’a insulté. J’ai essayé de dire quelque chose en français et il m’a dit brutalement : Koz to langaz do ta ! (Parle ta langue !). Ce n’est pas ma langue donc et je voulais prouver que je pouvais mieux faire que lui. Et là, j’ai fait l’effort d’articuler, de bien parler et finalement je les ai battus tous en locution, en grammaire. J’ai eu les prix de l’Alliance française. Ce combat était bel et bien terminé.

Vers la fin de mes études secondaires déjà, avant de partir pour l’Angleterre faire des études, je pensais à l’importance de la langue créole. Je me rappelle très bien deux événements. Le premier concernait une balade avec mon cousin plus âgé que moi. Je me disais : nous avons une langue et pourquoi nous ne faisons rien pour elle. Nous avons souvent honte d’en parler, devant les autres nous parlons une autre langue. Et il me dit : mais quelle est cette langue ? Nous avons le créole ! Et il m’a dit : Dev, to fou twa. C’est un cousin qui est resté très proche de moi et à chaque fois il me dit : to fou twa. Le second a été l’année ou les deux années où j’enseignais dans une petite école avant de partir faire des études. Le jour où j’ai quitté mon travail, mes collègues ont organisé une petite fête dans un campement à Pointe-aux-Sables. Ce soir-là, j’ai dit à mes amis : pourquoi nous ne faisons rien pour cette langue qui est notre langue ? Encore une fois ils ont trouvé cela comique. Récemment, j’ai retrouvé un ancien collègue qui se rappelait de cette fête et de l’importance de la langue créole. Et il me dit : depuis tu n’as pas cessé de te battre. Ce sont des souvenirs qui reviennent.

La Pédagogie linguistique

Je suis alors allé à Edinburgh. Là-bas il y avait cette grande révolution linguistique dans beaucoup d’universités. J’ai rapidement compris qu’il y avait d’autres façons de voir cette langue. Ce n’était pas du broken French, ni un patois ou un dialecte. C’était bien une langue. J’avais l’équipement universitaire, académique pour défendre ma langue. C’était en même temps la période pré-indépendance de Maurice et il n’y avait alors pas d’autre solution que de la développer parce que nous allions vers l’indépendance. Il fallait à tout prix créer une nation ; pour moi, le ciment de cette nation allait être cette langue. Après des études littéraires, je me suis donné complètement à l’étude de la linguistique et j’ai écrit ma dissertation sur la phonologie, la grammaire et les autres aspects de la langue créole.

Quand je suis retourné à Maurice, je parlais beaucoup de l’importance de reconnaître, d’aménager la langue. Suite à l’organisation d’une grande grève générale qui a foiré, je me suis retrouvé en prison. Là, j’en ai profité pour me faire la main dans l’écriture du créole, car auparavant j’écrivais sur le créole. On me refusait du papier et du crayon et j’ai du faire une grève de la faim pour en obtenir. De cette expérience est né un long poème en vers libre qui s’appelle La fime dan lizie. C’est l’histoire d’une femme, qui est un peu l’histoire de ma mère, mais à travers le filtre de l’imaginaire, une femme qui commence à se remettre en question, qui a eu beaucoup d’enfants et qui vit dans la pauvreté.

Ensuite j’ai écrit un recueil de poèmes au titre évocateur et provocateur : Disik sale. Le sucre n’est pas doux. Ça, c’est l’île Maurice, l’île où le sucre n’est pas doux. Pour le touriste, c’est un sucre très doux, mais pour ceux qui y vivaient, ce n’était pas doux du tout. C’est un recueil où je reprends les grands thèmes politiques : la pauvreté, la lutte des femmes, l’éducation. Un poème s’appelle « Ti garson » et montre tout le problème du conditionnement à la place de l’éducation réelle. Un autre poème exprime le métissage en lequel je croyais, il s’appelle « Tam tam gitar ek sitar », trois instruments de musique venant de l’Afrique, de l’Inde et le dernier d’Europe.

Ma troisième œuvre écrite en prison est la pièce Li. Quand j’ai voulu monter la pièce à Maurice, elle a été interdite, car on croyait que j’attaquais le gouvernement. Ce n’est pas une pièce politique, les images religieuses y sont très fortes ; mais les gens n’ont pas vu ça. Le héros Jésus meurt assassiné en prison. À cette époque, j’étais athée, mais j’avais une admiration terrible pour Jésus que je voyais comme un combattant pour la liberté. On y retrouve d’autres personnages comme Arjuna, de la Bhagavad Gita ou encore Pierre. J’ai écrit la pièce à un moment où je commençais à avoir des doutes sur quelques-uns de mes amis politiques. La pièce se termine sur les paroles suivantes : j’espère que les nouveaux lieutenants vont construire le nouveau monde sur la base de la vérité et non pas sur le mensonge. Cette pièce remettait en question le combat politique que je menais.

À ma sortie de prison, je quittai le MMM pour reconstruire un autre parti politique plus à gauche. Puis, je réalisai que ma priorité devenait la création littéraire. La littérature n’est pas seulement une façon de donner aux gens de quoi meubler leurs loisirs, elle est fonctionnelle. Sa fonction principale est qu’à travers l’écriture on aménage la langue et on crée ce que j’appelle un supralecte littéraire qui devient langue standard, à travers le fait que cette écriture va être un jour enseignée dans les écoles. Cette forme supralectale devient la norme, le modèle à enseigner. La littérature a un objectif, une réalité, une fonction très pratique dans le sens qu’elle donne aux humains un instrument extrêmement fort pour le développement culturel d’un groupe, que ce soit un pays ou un continent. Toute mon écriture va dans ce sens et je ne peux pas séparer la création littéraire de l’éducation, que ce soit dans la prose, l’écriture dramatique, ou la poésie. Je forme des professeurs afin de pouvoir aider des enfants qui après sept ans à l’école primaire ne savent ni lire, ni écrire, ni compter parce que le système d’éducation et la politique linguistique du pays sont totalement aberrants. Ce projet pilote se généralise depuis quatre ans et a donné de très bons résultats. Nous avons pu prouver que l’utilisation de la langue créole est un outil indispensable pour enseigner la lecture et l’écriture. Et pour ne pas enfermer l’Île Maurice dans un ghetto unilingue, j’ai aussi découvert que la langue anglaise était une langue créole. On en a beaucoup parlé quand j’étais étudiant à Édimbourg. Le passage du créole à l’anglais se fait très harmonieusement. Je travaille en même temps en enseignant la literacy en créole. Je développe aussi chez les enfants un bilinguisme créole mauricien et anglais. Cela fait partie de mon travail de linguiste et de pédagogue. J’utilise le matériau littéraire pour donner aux enfants le goût de la lecture à travers de nombreuses œuvres qui visent l’apprentissage de la lecture. La Commission of Human Rights a compris l’importance de la literacy pour le développement des humains. [En faisant une étude dans les prisons, ils ont découvert que la presque totalité des prisonniers ne savait ni lire ni écrire. Comment les rééduquer, les éduquer ? Comment déclencher le processus de réhabilitation ? Nous avons alors réalisé un programme où nous formons des professeurs, dont certains sont des prisonniers, qui enseignent ensuite en créole mauricien et en anglais. Cela permet à la sortie de prison d’avoir un bagage académique conséquent qui leur permettra, au lieu d’aller chercher un emploi chez les autres et nous connaissons l’ostracisme dont souffrent les ex-prisonniers, de créer une petite entreprise où ils deviendront indépendants. Ils apprennent ainsi un métier, à lire et à écrire leur langue maternelle et l’anglais, à maîtriser les règles fondamentales de la comptabilité. Mon travail littéraire et mon travail linguistique ont une orientation sociale en permettant à des gens exclus de la société de se réinsérer et devenir indépendants, et redéfinir leur identité. Il n’y a pas de séparation entre ce travail et la littérature.] Dans ce que j’écris, ces idées reviennent sous une forme littéraire. Je ne cesse de dire que la littérature est un engagement, pas seulement littéraire ou esthétique, mais aussi politique et social.

Cela me donne de grandes possibilités comme le travail sur les Évangiles qui ont été traduits en créole, une traduction que j’ai réalisée suite à une demande d’une société biblique de traduire leNouveau Testament. Des formateurs vont ensuite former les paroissiens à lire et à écrire le créole afin qu’ils puissent lire la parole de dieu dans leur langue maternelle. Pour moi c’est très important que les gens puissent comprendre. C’est surtout les afro-créoles qui vont en bénéficier et cela permettra de leur donner une nouvelle dignité et une nouvelle dimension à leur identité. Ces gens vont lire le Nouveau Testament mais ils vont aussi lire d’autres œuvres écrites en créole, des œuvres laïques. Ceci vient renforcer ma conviction que l’art reste un engagement pour un monde meilleur.

Mon œuvre

Je me pose toujours cette question : est-ce que j’écris parce que j’ai besoin de me dire ou pour prouver que l’on peut écrire en créole ? Si je peux décrire mon écriture, je dirai que c’est une tentative d’utiliser tous les genres possibles, des sonnets en créole, des odes en créole, des pièces tragiques, comiques, satiriques et aussi des nouvelles, un roman. La traduction montre qu’on peut traduire les grandes œuvres. On m’a dit que le créole n’est pas une langue, parce qu’on ne peut pas dire Shakespeare en créole. J’ai alors commencé à traduire les œuvres de Shakespeare puis Pufrock de T.S. Elliot.

Sur le contenu et au niveau du style, je reste un écrivain engagé dans la lutte pour l’égalité hommes-femmes, pour qu’on reconnaisse aux gens le droit d’avoir leur orientation sexuelle. Certaines pièces parlent d’homosexualité, de lesbianisme comme on peut parler des relations hétérosexuelles. On retrouve ce combat dans mes pièces, mes histoires, mon roman. Je suis aussi engagé dans le combat contre le capitalisme ou encore contre l’impérialisme américain qui domine le monde. Lors du succès d’Obama, considéré comme un grand sauveur, j’ai écrit un sonnet satirique pour porter attention aux États-Unis comme un empire toujours dirigé par l’armée, avec un complexe militaro-industriel qui ne veut pas lâcher.

Je dis à travers mes œuvres ma conviction politique profonde, elle demeure un combat anticapitaliste, un combat du côté des pauvres, un combat pour un monde où il fait bon vivre. La réalité économique, la réalité écologique, la crise économique qui est pour moi la crise du capitalisme, la crise de l’énergie, la crise de l’eau à venir, tout cela nous demande de réinventer la vie. C’est une question de survie.

Mes œuvres montrent la nécessite de révolutionner la culture mauricienne, pas seulement en terme de langue, mais aussi par rapport à ce que nous mangeons. Dans une de mes nouvelles, des gens plantent des fruits à pain qui pourraient nous garantir la survie si les choses devenaient plus dramatiques, car Maurice importe plus de 80 % de sa nourriture. Je dessine une autre réalité pour dire qu’il est possible de vivre autrement. C’est mon engagement en tant que professeur de langue et politicien. L’écriture devient un instrument pour dire tout cela.

L’Insularité

Je dois rendre hommage à une personne qui m’a fait réfléchir là-dessus : Françoise Lionnet dans une étude cite précisément The Tempest et parle de l’île comme la matrice de la mère. L’île, c’est un endroit douillet, confortable, mais où on ne peut pas y rester. Il y a toujours un conflit entre ce confort et la nécessité d’en sortir ; c’est là, toute la complexité de la vie. Une petite île peut offrir de grands moments, des moments de joie et de tendresse, de chaleur, mais on est entouré par l’eau. Il faut aller au-delà, vers d’autres terres et d’autres continents pour ensuite revenir. Quand je parle de Maurice, je parle de ce confort de base, mais je suis conscient que je ne pourrai pas mentalement y vivre éternellement quoique physiquement je m’y plaise beaucoup. Si le monde est un continent, il faut que mon esprit voyage dans ce continent. L’île représente cette nécessité d’aller au-delà de son petit coin. Ceci est peut-être très symbolique, car l’humain a besoin de sortir de son cocon pour aller vers les autres et aller vers les autres, c’est sortir de son île et aller sur le continent. Dans un poème d’ailleurs j’ai dit que j’étais très reconnaissant à mes ancêtres d’avoir quitté l’Inde pour venir à Maurice. Ils sont venus parce qu’ils avaient des difficultés en Inde, mais ils m’ont donné une chance extraordinaire de construire une nouvelle langue, d’expérimenter quelque chose de très nouveau et ceci m’a permis de m’ouvrir sur le monde. L’île comme elle est, donne l’envie de nous renfermer et en même temps nous fait ressentir le besoin de s’ouvrir à l’autre. Ce que je dis sur Maurice s’applique à tout le monde. Il ne faut pas trop idéaliser l’île. L’île a ses problèmes, mais quand même cela donne une ouverture vers l’autre.


Dev Virahsawmy

Dev Virahsawmy, 5 Questions pour Île en île.
Entretien, Rose Hill (2009). 46 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 8 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 27 janvier 2012 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.
Notes de transcription : Bruno Fouillet.

© 2012 Île en île


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mis en ligne : 27 janvier 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020