Anne Cheynet

Anne Cheynet, photo © Thomas C. Spear 3 mai 2004, Saint-Pierre (île de La Réunion)

photo © Thomas C. Spear
3 mai 2004, Saint-Pierre (île de La Réunion)

« Mon enfance est une île. Au-delà de tout jeu de mots. Ile, dans ma langue intérieure, veut dire « seule ». Ilette solitude !… C’est le poète Alain Lorraine qui écrit cette expression. Elle me semble traduire parfaitement l’atmosphère dont fut imprégnée et dont m’imprégna ma prime jeunesse…
Nos terres étaient entre deux ravines. Je me souviens des jours, où le brouillard, s’étendant en larges nappes au-dessus de ces ravines, nous isolait du reste du monde. C’était immensément beau, immensément angoissant
 »… (Rivages Maouls)

Anne Cheynet naît le 23 août 1938 à Saint-Denis de La Réunion. Elle passe son enfance à Saint-François, dans les Hauts de l’île. Après son baccalauréat, en 1956, elle part pour Aix-en-Provence où elle fait des études supérieures de psychologie. Dans son récit autobiographique, Rivages Maouls, elle écrira « Très vite j’ai aimé le vieil Aix. Je me suis passionnée pour l’Histoire qui sourdait de la pierre patinée où des fougères s’accrochaient à la poussière du Temps. J’ai aimé son beffroi, ses rues esquiche-coudes, dont les pavés inégaux résonnaient encore des épopées gallo-romaines. Parfois il me venait des rumeurs assourdies de l’océan indien ».

De retour dans l’île en 1963, Anne Cheynet exerce d’abord comme professeur de lettres au collège de « Cayenne » à Saint-Pierre. Après plusieurs années comme professeur de collège, elle choisit de travailler dans le premier cycle pour enrichir son expérience professionnelle et aussi par goût du changement. Elle s’investit dans la politique, voyage, enseigne à Madagascar, à Paris, puis revient à La Réunion où elle poursuit dans le préscolaire sa carrière professionnelle, qu’elle interrompt précocement en 1986.

C’est ce goût du changement et de la diversité qui caractérise Cheynet, une artiste à multiples facettes qui se définit elle-même comme un « papillon ». Son premier recueil de poésie Matanans et Langoutis (1972) et surtout son roman Les Muselés (1977) la lancent dans le monde littéraire et la placent dans la lignée des écrivains engagés.

Cependant Anne Cheynet attendra plus de quinze ans avant de publier un autre ouvrage. Pendant cette longue période elle écrit peu (poèmes, chansons, pour la plupart encore inédits) mais s’intéresse à d’autres formes d’expression artistique, notamment le théâtre (un rêve d’enfance) dans lequel elle se perfectionne à travers divers stages (expression corporelle, théâtre de l’opprimé, avec une équipe d’Augusto Boal de passage à La Réunion, mime avec l’artiste chilien « Pato »). Elle aborde aussi la musique, la danse, peint en autodidacte une série de tableaux d’inspiration mauricienne qui débouchera en 1985 sur une exposition intitulée « D’une écriture à l’autre », une exposition accompagnée de textes, à travers laquelle Cheynet tente d’exprimer une idée qui lui est chère : celle de la symbiose des Arts.

« Couleurs de la Musique,
Palette de mots
Dis pour
Dis contre
Mais dis…
A longs traits
En sons magiques
En mots égrenés
En corps démesurés
Dis la couleur des pensées… »
(Ter tout’ koulèr)

Ce n’est qu’en 1994 que paraît Rivages Maouls, Histoires d’Annabelle, récit autobiographique. Dans la presse réunionnaise, on écrit : « Quand Annabelle parle on ne peut s’empêcher d’entendre Anne Cheynet murmurer ses cyclones : tourbillons de rêves vrais, de blessures et de guérissures inachevées qui balaient, ou caressent parfois les îlettes solitude » Tébé (novembre 1994). « Des descriptions en croquis de personnages souvent savoureux, ce livre se déroule comme un conte qu’on pourrait lire à voix haute et cela tient sans nul doute à la manière originale avec laquelle a travaillé l’auteur. Anne Cheynet a en effet enregistré son livre au magnétophone sans passer par l’écrit » (Thierry Bara, Le Quotidien 9 novembre 1994).

C’est aussi à cette époque qu’Anne Cheynet se replonge dans un univers qui a charmé son enfance, celui du conte : un univers qui la fascine et redonne de l’élan à sa création. Si elle n’a publié jusqu’à présent aucun livre de contes, cette passionnée des mots, de « l’oraliture » (selon l’expression de Patrick Chamoiseau) ne cesse d’enrichir et d’élargir son répertoire très diversifié.

Elle a réalisé trois CD : Kiasec (2001), Contes d’Hellènes (2002) et Dans l’Esperbardzour (2004). Dans ce dernier, elle dira « Que vivent les histoires car la vie n’est qu’histoire(s) au singulier comme au pluriel ».

Anne Cheynet, qui réside dans le sud de l’île continue à s’investir pleinement dans le domaine culturel. Elle participe à des salons, à des festivals, intervient pour des publics d’adultes et d’enfants en animant des spectacles, des soirées littéraires, ainsi que des ateliers de théâtre et d’écriture (cf. « Kabar pour un petit chêne », conte écrit avec des enfants de MontVert les Hauts paru aux Éditions des Deux Mondes en 1997 et présenté au salon du livre à Paris en 1998).

Fortement imprégnée de sa culture d’origine, l’œuvre d’Anne Cheynet traduit aussi la philosophie universaliste de l’écrivain et reflète son bilinguisme, voire son trilinguisme, puisqu’elle écrit aussi en créole mauricien, un métissage dans lequel elle se sent parfaitement à l’aise et considère comme une richesse. En parlant de ce métissage dans un article publié dans Le Réunionnais en février 1996, elle dit,

C’est une chose à laquelle nous devons donner toute sa grandeur et toutes les promesses qu’elle porte. Cette promesse va au-delà d’un mélange de couleurs. Le métissage est le maillon, le processus qui nous conduit progressivement à la reconnaissance de notre identité, unique pour tous : celle d’être humain universel. Parler de métissage, sans avoir engagé en soi-même la démarche de tolérance, mais aussi de pardon, d’acceptation de l’autre à part entière, reste une démarche faussée, un snobisme, une démagogie. En tant qu’écrivain créole, c’est pour moi la cause pour laquelle il vaut la peine de s’engager parce que c’est particulièrement nous, à cause de notre malaise, de notre ambiguité, qui avons actuellement vocation pour en parler.

– Thomas C. Spear


Oeuvres principales:

Poésie:

  • Matanans et Langoutis. Saint-Denis: Presses REI, 1972.

Roman:

  • Les Muselés. Paris: L’Harmattan, 1977.

Montage poétique:

  • Ter tout’ koulèr. Saint-Leu: ADMV, 1992.

Récits:

  • Rivages Maouls, Histoires d’Annabelle. Saint-Denis: Océan Éditions, 1994.

Contes:

  • Histoires revenues du Haut Pays (recueil de 14 histoires). Sainte-Clotilde: Surya, 2014.

Littérature pour la jeunesse:

  • Petite Source. Texte d’Anne Cheynet; Illustrations par Biscuit. Saint-Denis: Orphie, 2014.

Enregistrements sonores:

  • Kiasec (conte sur CD), 2001.
  • Contes d’Hellènes (histoires de la mythologie grecque en créole: version de Renaud Cheynet), 2002.
  • Dans l’Esperbardzour. Contes et légendes de La Réunion. CD. Textes de Anne Cheynet, Daniel Honoré et Pierre Vidot, 2004.

Expositions de peinture sélectionnées:

  • « D’une écriture l’autre », Maison des Jeunes et la Culture (MJC), Saint-Pierre (Réunion), 1985.
  • « Pinson » (exposition collective), Saint-Leu (Réunion), décembre 1991.

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Dossier Anne Cheynet préparé par Thomas C. Spear

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mis en ligne : 4 août 2004 ; mis à jour : 5 janvier 2021