Anne Cheynet disant des textes d’Alain Lorraine


Romancière, poète, artiste peintre et conteuse, Anne Cheynet dit des textes d’Alain Lorraine (deux extraits de son recueil Tienbo le rein & beaux visages caprines sous la lampe et un texte de Sur le Black).

Précédés d’une introduction à Alain Lorraine, ce sont des extraits, dits de façon spontanée le jour où Anne Cheynet se faisait interviewer pour la série « 5 Questions pour Île en île ». Ainsi le bruit du vent et des sirènes, au milieu de l’enregistrement, ajoutera à la sensation du moment capté sur le vif.

début – introduction à Alain Lorraine
01:54 – premier extrait
06:19 – deuxième extrait
06:58 – troisIème extrait

Enregistré dans la forêt de l’Étang-salé le 6 juillet 2009. Vidéo de 9 minutes. Mise en ligne sur YouTube le 30 mai 2013.

Dossiers présentant les auteurs sur Île en île : Anne Cheynet et Alain Lorraine.


Introduction

Anne Cheynet a connu Alain Lorraine (1946-1999) pour la première fois à l’époque [dans les années 1970] où ils se mettaient tous les deux à écrire, et ils ont eu de certaines expériences similaires, étant plus ou moins de la même génération, bien qu’il soit mort jeune, lui, à 52 ans, en 1999.

Selon Cheynet, Alain Lorraine est l’auteur qui porte l’âme réunionnaise, tout en étant quelqu’un de vaste et d’universel, pas nombriliste.

Le poète. Né avec ce souffle poétique.

Voir aussi, « Alain Lorraine, un homme de mille parts », par Anne Cheynet, préface au texte éponyme de Brigitte Croisier (2014).


« Visages archipel » (extrait de Tienbo le rein)

[Entre crochets ci-dessous, les passages que ne dit pas Anne Cheynet.]

Pays-Maloya
Bellemène blues boulevard du sang mêlé
la face de la nuit se couvre de lueurs
le rhum se chauffe auprès du cimetière
les filles de la Possession déplient
une ravine de hanches

Il chante doucement l’élu de nos transes
Caf’ lé pas chrétien caf’ lé pas chrétien.

Il chante doucement le fou de nos souffrances
[créole créole lé maléré la pu de riz po manger]
il chante doucement
car souvent devant la mer les choses difficiles commencent
Sur la terre battue pardonnent les premiers pas [Pays-Maloya]
Les robes des femmes ont des appels d’étoiles
et nous chantons doucement
au grand couchant du mensonge
avec notre Maloya d’or et de tristesse
[avec notre Maloya d’or et d’ivresse]
Nous avons laissé nos tabliers sous la véranda des autres
pour ne plus servir la table des maîtres
avec des yeux extravagants d’étranger
À pas tranquilles d’hommes libres
Nous vivons pays-Maloya jusqu’au bout de nos regards
Et nous montrons du poing
sur le perron de fer de la maison
la verte plaine de Savannah
où nos frères sont morts de peine
où nos mères se sont effacées sous les labeurs
où nos pères furent détruits par la boutique

pays-Maloya [visages archipel] chapelles la misère
îlette la solitude ravine à malheur ligne paradis
Comme un cri d’espoir à qui on passe les chaînes
les barbelés les prisons
Comme une plainte de vieille servante damnée
sous la misère
Comme une peur d’enfant dans la nuit tropicale
Notre Maloya d’or et de tristesse chante pour vous tous
Une foule de messagers aux pieds nus
tape en folie des mains et des corps
Sur la grande place de la fontaine
dans une mêlée de visages et de rêves
Et nous dansons autour de l’horizon
[avec notre Maloya d’or et de tristesse]
avec notre Maloya d’or et d’ivresse
Camarade de Savannah-usine
Bonne à tout faire près de la Ravine
écoute bien nos voix dans la nuit
Au grand couchant du mensonge
avec notre blues notre musique en cuivre
et notre tam-tam
nous quittons l’arrière-cour esclavage
et nous arrivons en face de la lumière
tam-tam la misère.

Maloya Bellemène
La complainte d’un pays Mozambique incarne nos lèvres
Le malgache de naguère exorcise la ténébreuse
Le petit blanc hors d’usage de blanchitude
cherche son lendemain
Et danse maloya le Port n’est pas assez beau
Et parle créole l’esclavage est à fleur de peau
Et nous voici nègres jusqu’au bout de la peau
Je ne dis pas nègre de couleur
Mais nègre de combat comme Lumumba d’Afrique
Nègre en liberté avec Simandef sur la plus haute montagne
Nègre-bidonville
Nègre cafre
Nègre tamoul créole
Nègre de Canton
Nègre d’Arabie
rescapé recalé interdit de séjour
dans le langage étranger venu de la fraude
Nègre asphyxié brûlé rhum de campement
Tout oublier jusqu’à demain matin
ne plus être un homme tout venant
qui ne va nulle part
Un nègre-comédie française.

[…]

Fêtons la musique qui fait naître les racines
Fêtons pour ne plus se perdre pour pouvoir y croire
[…]

Beaux visages cafrines sous la lampe (extrait)

Le texte integral du poème éponyme du recueil est ci-dessous ; en gras, l’extrait dit par Anne Cheynet. 

Simca sur Paris, six heures grand matin
l’émigré de 20 ans se perd dans l’usine
des rêves – soleil mort – font la chaîne dans sa tête.
Huit cicatrices qui s’ouvrent par jour
les heures étrangères coulent comme sang perdu.
La pluie d’aujourd’hui improvise des visages étrangers
la pluie de Paris nous fait trembler de rire.
La peur du samedi soir camarade éloigné
lorsque dans la ville on est habillé de nègre et de fatigue
et la course suffocante entre les bars et les flics.

Le ciné à Ringo qui achève la semaine
la tendresse à la chaîne des amours en quarantaine.
La nuit, l’amitié s’endimanché, feu dans le froid.
Un litre de rhum donne couleur à l’horizon
mais l’âpreté du rire qui cache la déconvenue
chavire l’horizon en trente mille visages.
Et la vie,
qui ne tient plus debout,
comme une cigarette qui pend à une lèvre sanglante,
qui est prête à tomber,
Va mettre le feu quelque part dans le monde.

Sur le Black (extrait)

[Le texte ci-dessous est une transcription des paroles dites par Anne Cheynet qui ne correspondent pas exactement au texte publié.]

Sur le black

Sur le black de la chaleur des tropiques transpire le fantôme du captif

jouant jouant aux droits de l’homme dans la cour citoyenne des bulletins de vote.

Le fantôme du captif ce matin là jaillit de la case actif sur le sentier des plantations.

L’habit du dimanche à jamais

Et son fils émerveillé de sa parole

Vivre sa fièvre

Les voila devant la mairie

Les voila dans la cour principale

Et là au premier nègre du jour

C’est le fouet qui surprend le visage

Et là citoyen le maitre très blanc des heures de la plantation au milieu de la chasse

Danse un coup citoyen, l’Afrique même nouvé

Et la ronde mercenaire nervis très blanc

Tappeur très noire

On lui enlève son ceinturon

Descend son pantalon

Agenouille l’homme

Face en public

Au nom du Père, au nom du père vivre sa honte

Au nom du père

dans la cour de la mairie, une chaine d’or

Cadeau de première communion tombe de la poche de l’enfant

Il ne se penche pas pour le ramasser

Sur le black sur le black

Dans la cour de la mairie

Ce n’était qu’une plaisanterie

L’homme se relève

Mon Dieu, mon Dieu, s’il y avait un peu

De rac a portée de la gorge juste pour tuer le maître qui regardai

Boutique derrière boutique on sert à boire

L’enfant dans le sentier attend la fin de la bouteille

Et ils remontent tous les deux

Enfouies dans leur case, les enfants humiliés regardent souvent de côté

Au nom du père au nom du père   

Au nom du père


Voir aussi l’entretien filmé le même jour, Anne Cheynet, 5 Questions pour Île en île.


Anne Cheynet

Anne Cheynet disant des textes d’Alain Lorraine.
La forêt de l’Étang-salé. Vidéo de 9 minutes, 2009. Île en île.

Extraits de Tienbo le rein et beaux visages caprines sous la lampe. (1975) Saint-André: Océan Éditions, 1998 (pages 17-21 et 80) et de Sur le Black. Saint-Denis: Page libre, 1990.

Vidéo mise en ligne sur YouTube le 15 juin 2013.
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Véronique Deveau.

© 2010 Île en île


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mis en ligne : 5 janvier 2021 ; mis à jour : 5 janvier 2021