Catherine Boudet, Quatre poèmes

Nous, îlochtones

Tous ces visages
Venus du fond de toutes races
Parlant la même poussière
Et le même sourire
Du fond de toutes races
Venus traînés arrachés
Pour féconder l’Île
Réinventer l’Eden
De gré ou de force
Nous îlochtones
D’une terre-volcan
D’une histoire-volcan
Longue plaie cautérisée
Par des fers plus vieux
Que nos mémoires
Galvanisée
À ce bouillon commun
De nos racines mélangées
Île-longaniste île-forge
Où réinventer
Notre commune différence.

Florebo Quocumque Ferar

L’heure du départ avait sonné
Nous le sûmes d’une multitude de signes imprécis
Délivrés de cette même terre d’île
Île-matrice expulsant
Île-placenta de nouvelles renaissances
Vomies de bouche de volcan
Florebo quocumque ferar
Où que le vent me porte
Je fleurirai
Fut la devise de la Compagnie
Notre blason d’insulaires
Notre manifeste d’insulaires à la face du monde
Comme ADN minéral
Génétique florale non pas d’exil non pas d’errance
Génétique insulaire de flamboyants annonciateurs
Florebo quocumque ferar
Nous le sûmes d’une multitude de signes imprécis
Délivrés de cette même terre d’île
Identité pollinisée aux vents aux très grands vents
Fécondatrice de nouveaux sols de nouveaux soleils
De nouvelles poussières d’île de par le vaste monde.

Exîle

Très loin en tes affluents de soleils épars
Se vocalisent de très anciennes ecchymoses
Et je n’ai pas cet ardent désir
Ô Existentielle
De m’éblouir
D’imputrescibles songes à tes cascades mortes
Fractale dont se démultiplie l’absence
Ecarlate des sèves
Comme autant de cristaux
De neige sur cendre volcanique
Deuil commencé de naissance même d’île
Tu fus éruption lunaire à la surface de mes rêves
Je t’ouvre comme chair étoile de carambole
Et le délié de tes volcans
Ensemence à l’infini mes solitudes
J’enfreins déjà
Les insondables balises d’un exil indéfectible.

Marronnage blanc

Mon verbe celui d’un marronnage blanc
Silencieux poussant cru
Contre l’ortie des hontes
Le bétel du raisonnable

Mon silence celui
De mâtures d’oiseau fantôme
Plus bouillie d’os broyés
Que trace linéaire

Mon chant celui qui ne s’allume
Pas ne se gémit pas
Plus campé que territoire
Que la braise des boucans du crépuscule
Marin et que souffrir encore
Qui ne soit déjà souffert

Nos mains
Tendues vides de pluie
Quand le silence déchire
Un morceau sans renoncement
De cette chair de mangue mûre
Impossible à contenir

Vous aride horizon
Où se renouvelle une éventuelle clameur
Ô mots qui ne se diront pas de cendre
Ni de brume ni de matin solaire
Ô Vous aride horizon vers qui
S’étend la main corailleuse

Vous vertige de marigot sanglant
Plus sanglant que
Nos cœurs de flamboyant de décembre
Boue de braise
Cendre de tôle rongée
Par les alizés bruts

Ô Vous éloge du noyau vide
De letchi-tempête
Crevant blême
À la cime des vagues

À l’heure céruse s’accomplit
Le cycle du carnaval
Qui s’ébauchait lentement en cale
Des négriers de nos compromissions

J’ai oublié ma peau
Et restai nue dans l’annonce du soir
Fanant, tel un safran solaire
Les poussières de mon cœur
Aux derniers vents du Sud.


Ces quatres poèmes de Catherine Boudet – « Nous, îlochtones », « Exîle », « Florebo Quocumque Ferar » et « Marronnage blanc » – ont été publiés pour la première fois dans le recueil Nos éparses nos sulfureuses (Paris: Acoria, 2010), pages 60, 66, 65, et 68. Ils sont reproduits sur Île en île avec la permission de l’auteure.

© 2010 Catherine Boudet


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mis en ligne : 5 mai 2011 ; mis à jour : 22 octobre 2020