Anthony Phelps, Hommage à Émile Ollivier

Marie-José, Dominique, Mélissa.

« Mon amour,
reverrai-je le vent dans mes herbes de guinée,
reverrai-je mes bananiers terrifiés,
mes ciels de grand matin troué d’oiseaux,
mes rues quadrillées de poussière
et mes cours, fourmilières de miracle ? …

Mon amour,
je vis une nuit de gel et de fêlure du cœur,
mes portes se sont fermées sur mes silences
et ma mémoire au sortir des aurores boréales,
déverse des coquillages de sang frais,
coulé de bosses trimballées jusqu’à l’usure.
 »

C’étaient deux extraits de la participation d’Émile Ollivier, à Pierrot le Noir, un montage de poèmes que nous avons réalisé sur disque, Jean Richard Laforest, Émile et moi, à Montréal en 1968.

 

La mort est imprévisible. Cette fois, elle a frappé haut et fort.

La disparition d’Émile Ollivier est combien déchirante, pour Marie-José, son épouse, Dominique, sa fille, et Mélissa, sa petite fille. Combien douloureuse pour les autres membres de sa famille, et pour nous tous.

Elle constitue également une très grande perte, pour la littérature francophone, en général, et plus particulièrement pour l’haïtienne et la québécoise.

Ainsi donc, Émile et moi ne parlerons plus d’Haïti Littéraire, de la revue Semences; il ne dira plus de poèmes avec moi; ne me donnera plus la réplique dans un jeux radiophonique; il ne sera plus, entre nous, question de Prisme, Revue sonore de Radio Cacique.

Comment lui rappeler ce jour, où je lui ai rendu visite dans son refuge, près de Cabaret, où il se cachait des tueurs macoutes.

Nous ne désamorcerons plus, en blaguant, nos souvenirs de prison, pour cause politique.

Nous ne parlerons plus de notre métier.

 

J’ai fait la connaissance d’Émile Ollivier un jour de l’année 1962. Woolley Henriquez, un ami commun comédien, m’a présenté ce jeune homme mince, de grande taille, qui voulait faire partie de la troupe que j’animais, à la station Radio Cacique, de Port-au-Prince. Il était timide. Je dirais plutôt, réservé.

Radio Cacique était le lieu de ralliement des poètes d’Haïti Littéraire. Émile Ollivier y a appris, dirais-je en même temps que nous, ses aînés, que l’écriture est un métier réclamant la maîtrise de la langue, l’ouverture aux autres cultures, et surtout une pratique quotidienne.

Émile s’est donc intégré dans le groupe des acteurs de Radio Cacique, dont il allait être l’un des piliers et, tous les samedis il était présent à l’enregistrement d’une heure de théâtre radiophonique et de poésie.

En même temps, il allait prendre part de plus en plus, à certaines activités d’Haïti Littéraire, entre autres la revue Semences.

Cette époque est si pleine de souvenirs, et j’aurais tant à en dire.

Entre Émile et moi est née une belle amitié; protégée par la poésie, la littérature, le théâtre, elle n’a cessé de grandir, pour se consolider en terre d’exil.

L’exil! cette étape que nous pensions de courte durée.

Avec les poètes exilés, nous allions non pas reconstituer Haïti Littéraire, mais nous retrouver pour discuter, parler du pays. Rêver à la fin de la dictature et au retour chez nous.

Notre appartement, à Hélène et moi, que ce soit aux Jardins Calypso, ou à la rue Fendall, dans Côte-des-Neiges, était devenu un lieu de rencontres, où des poètes haïtiens et québécois se sont reconnus, entre autres Morisseau, Legagneur, Chamberland, Miron, Racine. L’appartement était souvent ouvert à la fête et lorsque Marie-José et Émile étaient disponibles, Dominique les accompagnait. Dès son arrivée, celle-ci se réfugiait dans notre chambre à coucher, avec deux ou trois livres.

Les livres ont permis aux Ollivier de se passer de gardienne.

Ce sont les livres, les siens propres, qui allaient révéler Émile Ollivier comme un excellent romancier, comme l’un de nos meilleurs essayistes.

Je garde encore en récente mémoire, notre séjour au Japon, en compagnie de Marie-José, au mois d’avril dernier. Émile allait faire un exposé magistral à l’ouverture d’un congrès international sur l’avenir des civilisations.

 

Professeur à l’Université de Montréal. Président de l’ICEA, Institut canadien de l’éducation des adultes. Prix du Livre de la Ville de Montréal pour son roman Passages en 1991. Prix Carbet de la Caraïbe, pour Les urnes scellées en 1996.

Chevalier de l’Ordre des arts et des lettres de la France. Chevalier de l’ordre national du Québec. Président du jury du Prix du Gouverneur général du Canada 2002.

Tout cela, et j’en passe, aurait pu lui monter à la tête. Jamais il n’a sacrifié son talent au bûcher des vanités.

Son charisme naturel, lié à sa grande culture, lui a permis de s’entourer non seulement d’un grand nombre de confrères et d’amis, mais également de jeunes haïtiano-montréalais.

Malgré ses graves problèmes de santé, par force de caractère, il a continué à réfléchir et à écrire sur son pays d’origine, sur son métier d’écrivain, poursuivant en même temps son œuvre de romancier, avec de plus en plus d’exigences.

Rien n’a pu amoindrir sa joie de vivre, son amour des blagues. Comme il le disait souvent: j’ai une histoire pour chaque situation.

Son appétit de gastronome l’a conduit aux cuisines et il s’est fait une solide réputation de chef, au point que lors de la parution d’un livre de recettes haïtiennes, écrit par une certaine Marie Soleil, nous fûmes quelques-uns à penser que Marie Soleil, c’était Émile.

Émile Ollivier a traversé le miroir, pour rencontrer et enfin, apprivoiser l’inconnu.

C’est pour moi, grand privilège, de savoir que dans les archives sonores de la littérature de notre tout petit pays, la voix d’Émile Ollivier restera à jamais mariée à la mienne, dans le poème Pierrot le Noir, dont je vous lis un autre extrait.

« Et, puisqu’il nous est donné de bâtir,
vienne la foi des bâtisseurs de cathédrales.
Et puisqu’il nous est donné de construire,
nous ferons la demeure de l’homme
au surlendemain de ce jour tout neuf tout beau,
au surlendemain des cérémonies
marquant l’aube d’un jour tout neuf tout beau …

Et s’il m’était permis une prière toute païenne,
je dirais, ô compagnons aux pieds poudrés,
Pierrots le Noir de tout un continent :
nos 28 mille kilomètres carrés sont à conquérir.
 »

Merci.

– Anthony Phelps


Ce texte, « Hommage d’Anthony Phelps à Émile Ollivier », a été écrit par Anthony Phelps et a été lu par lui lors de la Cérémonie d’hommage à Émile Ollivier dans le Hall d’Honneur à l’Université de Montréal samedi le 16 novembre 2002. Inédit, le texte est offert aux lecteurs d’Île en île par l’auteur.

© 2003 Anthony Phelps


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mis en ligne : 10 novembre 2003 ; mis à jour : 11 janvier 2021