Alain Gili, 5 Questions pour Île en île


Alain Gili répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 13 minutes réalisé au Port (Île de la Réunion) le 30 septembre 2009 par Giscard Bouchotte.

Notes de transcription (ci-dessous) : Coutechève Lavoie Aupont.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Alain Gili.

début – Mes influences
01:45 – Mon quartier
03:42 – Mon enfance
06:00 – Mon oeuvre
10:33 – L’insularité


Mes influences

Je n’arrive pas à identifier ce qui me pousse vraiment à écrire. J’évoquerai l’enfance, mais je peux parler des influences des personnes que j’ai aimé lire qui ont été les premiers à me toucher. J’ai l’impression que je lisais énormément de romans d’aventures, des romans de Jules Verne, de James Curwood, de Jack London. Mais, j’ai toujours l’impression qu’un passage à quelque chose d’autre [que la lecture] s’est produit quand je me suis amouraché de l’oeuvre de Gérard de Nerval. J’avais l’impression que j’étais déjà capable d’envisager ce qu’était que se souvenir quand on est vieux, alors que j’étais jeune. Je suis né vieux.

Il y avait toujours une dimension du souvenir qui était considérable, comme quelque chose de perdu. Donc, je parle de Gérard de Nerval, de tous ces romans d’aventures et de mers. Il y a d’un côtéLe tour du monde en quatre-vingts jours, et de l’autre il y a Herman Melville et, de Nerval, Le Voyage en Orient, Sylvie et les Petits châteaux de bohème.

Mon quartier

Je suis un campagnard, né dans une maison que les gens du village appelaient un château. Cela n’avait rien d’un château, c’était une vieille maison de vignerons du Val de Loire. Mon père étant catalan, la ville qui m’obsédait, ce n’était pas Orléans, alors que on était à côté d’Orléans : nous prenions le car pour y aller et c’était très court. La ville, c’était Perpignan. Perpignan n’était pas un château de bohème ; c’était un château de gloire, de la gloire catalane, de la gloire de mes ancêtres paternels, de ce peuple chassé aussi, parce que républicain, parce que antifranquiste. Perpignan était également la ville où j’ai aimé le cinéma, allant à tous les cinémas de la ville de Perpignan avec ma Tante Aline et Tante Dolorès.

Mais la ville de référence était Paris. Orléans était quelque chose de triste, coincée, quelque chose… de la bigoterie la plus réactionnaire que l’on peut imaginer. J’avais une vision négative d’Orléans. Peu à peu, allant au lycée, je me suis dégagé de cette vision et me suis mis à admirer cette ville hautaine avec sa rue royale, sa cathédrale symétrique et très haute, faite dans un calcaire qui ne tient pas.

Paris, Orléans, Perpignan.

Et puis une longue vie à La Réunion où la ville qui compte le plus, Le Port, est une ville en construction, une ville de prolétaires, une ville un peu jetée hors de l’île dans une Pointe des Galets qui est un « cône de déjections ». Cette ville s’est construite et se construit sous mes yeux avec des amis, évidemment l’un des plus grands inspirateurs de beaucoup d’actions dans la ville, Alain Séraphine.

Mon enfance

Mon cadre familial était une maison à la campagne dans le Val de Loire, avec l’omniprésence d’un grand-père paternel décorateur de théâtre et peintre plutôt impressionniste. Peintre des pêcheurs de Loire. Il est mort alors que j’apparaissais et j’ai été de très tôt poussé par une sorte de suggestion familiale plus ou moins consciente à m’occuper de théâtre. J’avais construit un théâtre de marionnettes. Mon père était professeur aux Beaux Arts de Bourges. Il traversait la Sologne dans une voiture, c’était après la Deuxième Guerre mondiale. Il était assez pauvre. Les souvenirs de Sologne reviennent avec une dimension fantastique.

L’un des souvenirs qui m’a le plus marqué – en ce qui concerne la littérature et la dimension imaginaire fixée dans quelque chose parce que je voyais bien qu’on la fixait dans des peintures ; qu’on la fixait dans des sculptures ; parce que notre maison était pleine de sculptures et de peintures – c’étaient les contes de fées. Je ne me souviens plus de leurs noms. Certains étaient des contes de Perrault, mais il n’y avait pas que Charles Perrault ; c’était des contes du XVIe et du XVIIIe siècle que me lisait ma grand-mère maternelle qui s’enorgueillissait d’écrire des poèmes en alexandrins. Je n’étais pas vraiment convaincu, j’étais beaucoup plus fasciné par elle et par son adulation de la poésie versifiée que de ses poèmes. Les contes et la dimension cérémoniale qu’elle donnait à la lecture de ces contes m’ont toujours frappé. Je pense que c’est la même chose pour ma soeur Inès et mon frère Raymond.

Ce sont les souvenirs qui m’ont le plus marqué : cette ambiance mystérieuse de la Sologne, ses contes, et aussi, non pas les fantômes, mais la belle obsession artistique de cette grande maison pleine de cultures, pleine de livres, pleine de la bibliothèque de mon grand-père, Eugène Prévost, dit Mesmin, comme peintre (il avait pris le nom du village, la chapelle Saint-Mesmin).

Mon œuvre

Moi, je ne dis jamais « mon oeuvre ». D’ailleurs, je ne dis jamais que je suis écrivain. On m’a connu comme animateur-théâtre, metteur en scène, journaliste. Ici, à La Réunion, on m’a connu comme animateur-cinéma et militant cinéphile. J’ai créé le Festival du film d’Afrique et des Îles. Je ne pense pas à mon oeuvre ; je l’oublie. Elle me rattrape dans ces manèges que joue l’inconscient avec nous-mêmes, avec la nuit, avec le rêve éveillé.

J’ai été quand même un peu culotté. C’est-à-dire, j’ai publié des oeuvres inachevées. J’ai publié des sortes de livres à l’essai. Mais je les ai publiés pas seulement pour moi. Je pensais qu’il y avait une espèce de grouillement de créativité réunionnaise qui n’arrivait pas du tout à sortir. J’ai trouvé des complices pour cela : Firmin Lacpatia et Alain Séraphine. Nous avons fabriqué des livres à la main, parfois avec des illustrations en couleur faites en sérigraphie.

Le texte de mon arrivée dans l’île s’institule L’île aux mille Morodom. Il y a un jeu de mots avec Morodom, écrit de manière un peu bizarre. Peut-être par couardise parce que cela pouvait être nord-dom ou mort-dom. Pour ceux qui ne savent pas ce que veut dire DOM (puisque cela existe encore ; c’est une appellation spéciale à la France, et ce ne sont pas des dominions comme disent les Anglais) ; ce sont des départements d’outre-mer. Une sorte d’entité que les Anglo-saxons ne comprennent pas. Quand ils en parlent, ils disent French colonies. L’île aux mille Morodom était publié sous un nom d’empreint, Cléo Légeiry, l’anagramme de Gili Créole. J’ai réutilisé le nom Cléo plus tard, pour m’inventer, dans un journalisme culturel, une partenaire qui avait duré quelques années.

Je n’ai publié qu’à l’Ile de La Réunion. La poésie a ce caractère diffus pour ne pas dire confus, qui pour moi est un terme positif. J’aime l’esthétique de désordre, désordre comme par exemple dans le premier film de Jacques Baratier. Ce qui apparaît le plus facilement pour le public, ce sont mes deux recueils de nouvelles : Manapany express en 1998 et Aux îles Prézioume en 2009.

Aux îles Prézioume est un ensemble de textes que j’ai appelés « presque nouvelles ». Cela peut faire sourire, mais pas moi, parce que j’ai une certaine incapacité d’imaginer des choses. Tout a été dit, tout a été écrit. J’ai toujours l’impression de rentrer dans une espèce de codage. Je ne sais pas si c’est Jorge Luis Borgès qui aurait dit « parler c’est tomber dans la tautologie, mais transposer, écrire c’est tomber dans le déjà écrit » [NDLR, si, paraphrasé de La Bibliothèque du Babel]. C’est ce que Carpanin Marimoutou appelait la transtextualité. Je crois qu’on est forcément dedans.

Je me suis abusé à casser mon imaginaire autour de la notion d’île, étant dans une île qui se dit elle-même isolée dans l’océan, l’île de La Réunion, alors qu’elle fait partie de l’archipel des Mascareignes avec les îles comme Maurice et Rodrigue. Je rêvais d’autres îles et ces îles sont à la fois un peu La Réunion, mais également tout à fait autre chose, des choses imaginaires, des choses qui sont presque des blagues et d’autres qui sont des histoires vraies, le tout se mélangeant dans l’imaginaire. Je me suis amusé à écrire cela, qui a fini par une nouvelle « Tes clics et tes clacs », ce qui veut dire, Souviens-toi, Tais-toi. Va-t’en. Retourne à la réalité. Et la réalité, c’est un type dans une bagnole qui va pisser et cela se mélange dans sa tête entre internet et le désir de voir apparaître dans la forêt, je ne sais quel révolutionnaire ou quel monstre. Mais rien n’apparaît. Et il rentre chez lui.

L’Insularité

Est-ce que je me sens insulaire ? J’ai lu autrefois un livre où quelqu’un raconte une nouvelle vie, ce n’était pas une deuxième vie. L’île de la survie.

La Réunion – je l’ai vue chez beaucoup de gens que je connais ici, que j’ai aimés et dont j’ai eu peur parce que je trouvais leur dessein horrible – c’était l’île de l’autre vie. Cela peut être un autre couple pour refaire sa vie.

J’ai eu l’impression aussi que mon île est une fuite. Je me suis souvent demandé si je n’étais pas dans un système de fuite généralisé. Je ne crois pas être le seul. Et là aussi, l’inconscient et l’imaginaire s’arrangent toujours pour nous trouver des arrangements avec des décisions que nous n’avons pas prises. Par exemple, quand on me dit pourquoi suis-je venu ici ? Je fais appel à des souvenirs assez particuliers, d’une lettre qui ne saurait pas arriver, qui devait me nommer sociologue en Algérie. Et finalement, je me suis trouvé ici parce qu’une inculpation en 1968 m’avait empêché de faire la coopération comme les gens de ma génération. Et que j’avais un désir de tropiques et de sensualités tropicales tout à fait identiques à celui des jeunes gens de ma génération.

Je ne sais pas si je me sens insulaire, mais je n’ai publié qu’à l’île de La Réunion. L’île de La Réunion était l’île de l’autre vie, en tout cas, pour les tentatives de textes et pour les publications. Je n’ai rien publié « en France », comme on dit à la Réunion.

C’est une insularité de fuites, de retrouvailles aussi, avec une culture en train de se faire, de se construire. J’ai eu la joie pendant 35 ans de participer à ce mouvement culturel tout en restant moi-même dans mon errance personnelle ce qu’acceptaient complètement mes amis (mes dalons comme on dit à la Réunion) aussi bien Claire Karm, Jean Albany, Alain Peters, Daniel Roland Roche, Carpanin Marimoutou, Anne Cheynet, Jean Henri Azéma, Alain Lorraine… J’ai eu la chance de connaître tous les écrivains. J’ai même été imposture pure : président de l’association des écrivains réunionnais ! Mais il y avait une autre association aussi, que l’on s’en rassure. Il y avait très peu d’écrivains, mais beaucoup d’associations.


Alain Gili

Gili, Alain. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Le Port (2009). 13 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 8 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 8 novembre 2010 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Giscard Bouchotte.
Notes de transcription : Coutechève Lavoie Aupont.

© 2011 Île en île


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mis en ligne : 8 novembre 2011 ; mis à jour : 26 octobre 2020